FRANCK TESTAERT - LE TETRIS

"Le mauvais boss, bah il est con, il vise, il tire mais c’est un mauvais boss."

Le TETRIS est une des dernières nées dans le cercle toujours trop restreint des SMAC (Salles de Musiques ACtuelles). Sortie de terre après un long combat mené par une équipe de passionnés, cette salle incarne une brillante idée de la gestion participative et de la bonne utilisation de l'argent public. Autant d'inspiration pour espérer semer ailleurs, qui sait, d'autres cubes colorés et musicaux. Pour incarner un lieu aussi humainement innovant, il fallait un homme à son image, Franck, qui vous propose un agréable tour du propriétaire. 

Salut Franck, peux-tu te présenter pour nos lecteurs ?

Bon, vite fait alors. On peut dire que mon retour au Havre en 1987 (à 21 ans) a déclenché plein de choses: j’étais régisseur à l' Ecole de Théâtre, puis on a crée notre propre lieu avec une compagnie de théâtre (Le metis), près de la zone portuaire.
Un lieu modulable d’environ 100 places assises.
En parallèle, on squatte des lieux municipaux au fort de Tourneville (1993-1995), et on programmera la scène Hard-core du moment (The Ex, De Kift, Pleum, Mother FK, Molaire..).

Les choses s’enchainent, je monte un groupe avec des potes (Mob’s et Travaux, dont je suis le contrebassiste), bizarrement on représente la Haute-Normandie au Printemps de Bourges, et là, on enchaine 600 dates en 6 ans. (1997-2003). Je dis bizarrement, parce que la justesse musicale ne fait pas parti de notre ADN.
(Spectacle burlesque-musical, avec les VRP et les Monty Python comme modèles). On joue en robe de chambres et pantoufles, sur un tapis feutré avec un peu de décor.  Le Trash-pantoufle est né!  https://www.facebook.com/MobsEtTravaux

D’où la création de Papa’s Production en 1997, asso 1901, pour gérer l’administration du groupe.
Puis d'autres artistes Havrais viennent me voir. Leurs problèmes tournent autour des contrats de cession, des bulletin de salaires,etc..
On ouvre donc Papa’S Production à la scène locale (Lycanthrope, La folie Ordinaire, Dominique Comont, Tokyo-overtones, Aminima,…), mais sous un angle professionnel.

Depuis, ça ne c’est jamais arrêté. OuestPark Festival en 2004: de là, l’achat d’un chapiteau et de matériel pour être le plus autonome possible.
Puis le Tetris, mais ça, c’est plus long à expliquer.

Après bientôt six mois aux manettes depuis l'inauguration, quels sont les meilleurs et les pires aspects d'une vie de directeur de salle ?

Le plus sexy dans l’histoire c’est l’aventure avec l’équipe et avec le Conseil d'Administration. ça discute du projet tout le temps..on affine, on règle, on cause., on change, on revient en arrière..
Et surtout, on est 14 permanents. (parité respectée!) et 4hommes 4 femmes dans le CA.
Une aventure humaine, le reste c’est que de la musique. Ah, il y a deux chiens aussi.

Pour le pire, je crois que c’est le suivi de chantier. Baptiste (le directeur technique) Johanne (notre administratrice) et moi, avons plusieurs fois eu l’impression de déplacer la falaise à la petite cuillère. beaucoup de prise de tête avec les différents corps de métier.
Le BTP, c’est un monde. Un vrai truc de dingue. ça surprend un peu au début… et à la fin aussi. Mais en fait, surtout au milieu.

Tu viens plutôt du milieu punk, n'as-tu jamais ressenti de difficultés par rapport au cadre strict dans lequel s'inscrit la gestion et l'administration d'une SMAC ?

C’est pas parce que l’on a monté un squat qu’on ne sait pas gérer un tableau .xls. ;-)
Bien au contraire ! En 1997, on a participé à la création d’un groupement d’employeurs culturel. (BcBg) (www.bcbg-culture.com).
C’était le premier groupement culturel de ce genre en France. ça m’a permis de me reposer sur un savoir faire comptable, social et fiscal.
Et surtout, d’apprendre à travailler avec d’autres, de comprendre la mutualisation. On se revendique de l’économie sociale ET solidaire, et ce n’est pas qu’un mot. Tu fais un pas de côté, et tout d’un coup, tu as un monde qui s’ouvre.

Pour le reste, ce sont les politiques qui ont été un peu surpris par rapport à notre façon de parler. Ils sont élus, ok, mais je continue à parler normalement. 
Le plus possible.. c’est assez marrant, en fait.
Et eux ne se gênent pas, d’ailleurs.

Entre des études de sciences et le cours Florent, on ne peut pas dire que tu aies choisi la voie la plus directe pour devenir le boss d'une SMAC, pour autant penses-tu qu'il y en ait une et si oui laquelle ?

J’ai pas choisi de voie, j’ai pas fait de plan de carrière, je laisse faire. Les choses se font, très souvent par hasard. J’ai  été GO dj au club Med (pff),  technicien-éclairagiste, régisseur général,  musicien, manager et maintenant je gère le projet Tetris. Dans l’avenir, je peux aussi ne rien faire.. On verra bien.

Dirais-tu qu'un passif de musicien (comme toi avec le groupe Mob's & Travaux) est indispensable pour bien gérer une salle ?

Ahaha, j’en connais un paquet qui ne sont jamais montés dans un camion !! C’est con. Ils ont été jeunes éhéhé...
Mais bon, non, ce n’est pas indispensable. Concernant l’accueil des artistes et le développement des groupes locaux et régionaux, par contre ça aide !
Quand tu regardes manger les Tetes-Raides à table avec ton groupe, et que toi t’as un pauvre sandwich en loge, ça énerve.. par ex !
En même temps, on s’en foutait, on n’aimait pas les têtes raides ;-)

Le Tetris représente un des plus beaux exemples de salles de concert en terme de coût de réalisation modéré, de mode de gouvernance partagé, d'intégration dans le paysage local, de parité, etc. tiens-tu justement ça de ton passé au royaume de l'autogestion ?

Trop fier ! alors là je dis ouais. Belle bagarre. 
Le Tetris s’est crée en réaction à la fermeture du Cabaret Electrique, l’ancienne « smac »  du Havre. (dont j’ai été membre du CA).
Pour faire court, on a rencontré la Ville du Havre en 2010. On leur a dit qu’on arrêtait l’asso «  Papa’S Production »  , que continuer dans une ville qui ne pense pas la musique, c’était sans nous. Dont acte. On ferme. Stop !
La mairie, piquée au vif, nous  renvoie: « Proposez, vous qui êtes si malin! » . On dit Chiche !! et on revient un mois  après (mars 2010) avec des plans, des vue 3D, deux architectes et une bâtiment de 1200 M2. Bim !!!
Pour nous, c’était juste un baroud d’honneur. Genre « poussez-vous, on va vous montrer », et après on se casse.
C’est là que la ville a été surprenante. Sa réponse: « Ok on y va ! et c’est vous qui allez construire ». Au moment d’arrêter l’asso, on repart pour 10 ans. Pour pleins de raisons, on a dit oui. Premièrement parce que nos architectes Havrais se seraient fait bouler si la ville avait repris le projet (code des marchés publics), deuxièmement parce qu’on ne risquait pas grand chose, et surtout parce que c’est devenu hyper excitant.
Seul maitre à bord! Le rêve !!!

Juste après, on a embauché Fazette Bordage (Confort Moderne, Mains d’oeuvres, Trans’europHalles) pour recueillir les desideratas des différents partenaires culturels de la ville, et essayer de co-construire le Tetris avec les assos et les artistes Havrais. (pas tous, mais une bonne partie).

Concernant le prix, c’est une surprise: quand on a ouvert les plis des entreprises concernant les différents lots, les architectes ont été étonné du coût. Presque 20% de moins que pour un marché public. D’où un coût super bas: 7 millions d’euros!
Ce qui prouve qu’une association peut (voire doit, même des fois) suivre son propre chantier.

L’ensemble des sociétés ont ensuite été sollicités pour accompagner notre association financièrement (mécénat d’entreprise).
Une rentrée d’argent qui nous a aidé a organiser (avec les collectivités, bien sûr) des concerts sous chapiteau pendant les travaux. (un an et demi!).

Pour finir, notre mode de fonctionnement nous pousse de fait à aller vers une forme coopérative: la SCIC.
C’est une forme nouvelle coopérative, ou une personne égale une voie, ou personne n’est majoritaire, et ou le public, l’équipe, les bénévoles, les assos du Havre ou les collectivités, bref tout le monde peut participer et s’exprimer. On y travaille.

Le Havre résonne pour certains anciens comme une ville rock, pourtant on en n'a pas forcément l'image d'une ville musicalement dynamique aujourd'hui, penses-tu que ce métier soit plus dur au Tetris que dans une salle à Toulouse, Paris ou Angers ?

Hein? C’est quoi, le problème avec le Havre? Bon, on en reparle dans 3-4 ans.

Quelle place est donnée à la scène locale et comment la juges-tu ?

Je la juge pas j’en ai fait parti. C’est dur, et on espère être là pour les artistes. On a tellement galéré pour trouver des endroits où travailler, que maintenant, quand un artiste (pas que musicien, d’ailleurs) vient nous solliciter, ça résonne. Dès que c’est possible, on met à disposition les salles, et plus quand on le peut.
Il y a une personne dans l’équipe, Matthieu, qui justement s’occupe des groupes qui le souhaitent, les orientent ou les accompagnent.
(DickVoodoo, Souinq, DEF, AlohaOrchestra et d’autres..). Il gérera bientôt une pépinière culturelle dans nos anciens locaux.
Et toutes les autres assos qui se bougent pour faire avancer le schmilblick. HeadFirst, DinRecords, PhenomenalProd,  les disques du Hangar, BenSaladProd, et plein d’autres.
Elle est super cette ville. Dure, mais super. Très Rap. Très Rock. Très au bord de la mer,  aussi.. Et très détruite pendant la guerre. ça marque.

Beaucoup de nos lecteurs jouent dans des groupes en développement, aurais-tu des bons conseils à leur donner pour se faire programmer au Tetris ou dans une autre SMAC ?

Le Live !!! C’est du spectacle vivant, la musique. Le concert doit être impeccable. Son, ET lumière.
La tenue sur scène. Et ne surtout pas faire du copié-collé de groupes existants. Un truc intime, profond, qui se partage avec le public.
Avec les Mob’S, on jouait comme des patates, mais on avait d’autres arguments: un peu de mise en scene, des costumes et une grosse énergie ensemble. ça nous a permis de faire nos 600 dates, et d’atteindre le saint Graal: l’intermittence !!

Comment vois-tu évoluer ce métier dans les années à venir ?

Dur.. Pour les salles ou assos, deux solutions:
Rentrer dans l’institution. Ou serrer les rangs. Au choix.
Pour les artistes, c’était dur avant, et bah ça sera pareil après. Donc tout va bien. Pas de surprises.

Après un parcours déjà empreint d'expériences passionnantes, as-tu un rêve ou des rêves liés à ce métier ?

Faire venir Nick Cave au Havre. Ou les Stray-cats...

Aurais-tu une anecdote particulière liée à ton métier à nous faire partager ?

Pas içi. plus tard, peut-être.. Si tu es sage et que tu m’offres des autocollants. (voir pj).

Quels évènements professionnels vont marquer tes prochaines semaines et mois ?

Organiser la journée nationale des groupements d’employeurs culturels. (Fin nov. au Havre).
Repenser artistiquement le plus possible notre festival "Ouestpark".
Et continuer le travail collectif sur le Fort de Tourneville. Un ancien fort militaire qui est passé côté culture de la force.
Bon, on est une quarantaine d’assos et artistes, et comme dirait Fazette Bordage, qui coordonne le bazart, «  on va moins vite tous ensemble, mais on va plus loin! »
Toc !

C'est quoi la différence entre un bon et un mauvais boss de salle de concert ?

Bah le bon boss, bah y vise bon y tire bon bah c’est un bon boss.
Le mauvais boss, bah il est con, il vise, il tire mais c’est un mauvais boss.
Tu vois.. pas pareil, quoi..

Et pour finir, tes dernières claques musicales, album et live ?

Saint Lo aux Transmusicales, Le show de Peaches au Tetris, Papier Tigre et les Kubilaï sur le festival Pharenheit, Die antwoord.. ENJOY !!

SUR LE WEB :

http://letetris.fr/
https://www.facebook.com/LeTetris

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